Nous le savons tous, les communautés juives sont présentes sur tous les continents du monde. Parfois leurs origines semblent mystérieuses et leur communauté assimilée comme on a pu le constater au Japon ; d’autrefois, elles sont ouvertement et culturellement présentes comme en Éthiopie ; enfin, il y a des communautés qui viennent de tout horizon et qui se rassemblent en un pays.
Aujourd’hui, nous partons à la découverte des juifs de Turquie !
Commençons par un peu d’Histoire…
Avant les purges politiques de 2016 par le président turc Erdogan, la communauté juive vivait sereinement en Turquie. Et pour cause, le peuple juif s’y était installé dans cette région avant même qu’elle ne soit appelée ainsi. En effet, les premiers habitants juifs sont arrivés vers le IVème siècle avant J.C. durant l’Empire Byzantin. À cette époque, ils avaient été surnommés les « mizrahim », soit les « orientaux ». Nous trouvons encore aujourd’hui des vestiges de la civilisation juive de cette époque, comme les ruines de la Synagogue de Sardes, à Smyrne en Lydie, qui était l’une des plus grandes de l’Antiquité.
La population juive reste la même durant presque une dizaine de siècles avant qu’un important changement survienne.
Une des guerres de religion qui a le plus marqué notre Histoire est celle de l’Inquisition, cette juridiction chrétienne qui combattait les hérésies, c’est-à-dire éliminer les pratiquants d’une autre religion, dont le judaïsme. Bien sûr, comme dans toutes bassesses de l’humanité, il y en a toujours qui lutteront pour la survie des opprimés. Ce fut le cas du sultan Bayezid II en 1492 – après que Constantinople fut devenue la capitale du nouvel Empire Ottoman en 1453 – qui envoya Kemal Reis, son fidèle amiral de flotte, sauver 150 000 juifs d’Espagne.
Deux siècles plus tard, les juifs subissent un nouveau drame : les pogroms. Ils se font alors expulsés d’Espagne par la reine de Castille, Isabelle La Catholique, et se retrouvent donc à trouver refuge dans l’Empire Ottoman.
La Turquie s’est toujours montrée tolérante et ouverte à la communauté juive. En effet, pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle a refusé de livrer des juifs à l’Allemagne, adoptant un statut de neutralité. Cette absence d’engagement envers un quelconque parti a également causé l’empêchement d’immigrations juives vers Israël pour calmer les tensions montantes avec le Royaume-Uni durant la Guerre Froide. Toutefois, cette restriction ne survécut pas bien longtemps, puisqu’on dénombre aujourd’hui plus de 50 000 juifs en Israël venant de Turquie.
Un brassage culturel…
Durant presqu’un millénaire, la population juive de Turquie s’est vue incorporée de nombreuses cultures qui ont façonné son histoire.
Durant l’Antiquité, les mizrahims étaient également appelés les Romaniotes, un nom emprunté à l’Empire Romain. Il s’agissait d’un groupe ethnique juif de culture grecque, issu du judaïsme hellénistique, qui a vécu autour de la Méditerranée orientale et la Mer Noire durant plus de 2 400 ans après l’exil de Babylone.
Les juifs hellénisés étaient établis dans les pays de l’Empire d’Alexandre d’où ils ont adopté la langue et la culture, sans jamais perdre leur foi en leur religion. Ils sont d’ailleurs à l’origine d’un important corpus de littérature judéo-hellénistique qui comprend, entre autres, les premières traductions de la Bible Hébraïque, c’est-à-dire le Tanakh (la Torah, les Nevi’ims et les Kétouvims).
Au fil du temps, ces Romaniotes se sont répandus dans toutes les zones hellénistiques : en Égypte, en Syrie, en Grèce et même dans quelques pays d’Asie mineure. Ils ont adopté le nom de « Romania » lorsqu’ils se sont mélangés aux pays occidentaux (Roumanie, Roumélie et Romagne), créant ainsi les familles Romano, les Moustaki et même quelques Cohen dont, d’ailleurs, est issu Albert Cohen.
Aujourd’hui, la communauté Roumaniote très peu connue des juifs eux-mêmes, a tendance à disparaître, ne parvenant même pas à atteindre le quota suffisant des offices dans certaines synagogues. Cependant, ils se sont mélangés à d’autres cultures pour survivre : les Askénazes mais surtout les Séfarades.
L’émigration d’Espagne suite à l’Inquisition et à l’expulsion des juifs par la reine Isabelle La Catholique ont apporté une nouvelle culture aux juifs de Turquie, les Roumaniotes hellénistes. En effet, des rites Séfarades se sont imprégnés petit à petit dans leurs coutumes, notamment en adoptant une langue dite « judéo-espagnole ». De plus, ce mélange de communauté à la foi commune a permis de redécouvrir des œuvres littéraires de philosophie, de sciences, de théologie, de poésie, etc…
Le terme « séfarade » tient son origine dans une mention unique de la Bible mentionnant les « déportés de Jérusalem qui sont en Sardes » (« Sardes » se dit « séfarade » en hébreu). Cependant, le sens actuel du terme provient de l’hébreu du Moyen-Âge et désigne en particulier les habitants de la péninsule ibérique (notamment « espagnol »). Ce mot regroupe alors les membres de la communauté juive ayant adopté les rites et coutume de l’Espagne et des pays alentours qui ne sont pas considérés comme « Ashkénaze », comme le Portugal par exemple.
Quand ils ont été forcés de quitter l’Espagne et ses alentours, les juifs ont emporté avec eux toute la culture formée par leurs années de vie commune en Turquie où ils se sont encore plus mélangés sur place. Les Ashkénazes désignent les juifs d’Europe centrale et orientale et sont l’un des principaux groupes ethniques juifs avec les Séfarades et les Mizarhims. À la différence de ces deux derniers, les ashkénazims tiennent l’origine de leur langue dans le Yiddish, une variante des langues parlées à l’époque en Allemagne et dans tous les pays limitrophes.
Lors de la destruction d’Israël en 722 avant J.C, les tribus d’Israël s’éparpillent dans le monde entier. L’histoire des origines des tribus se contredisent constamment, cependant une seule vérité surplombe les autres : lors de l’échec dans la première guerre judéo-romaine, certaines communautés juives se sont établies dans le bassin méditerranéen. Peu importe alors l’endroit où ils ont atterri, il émerge une identité juive propre à cette partie du monde qui, aujourd’hui, est reconnue comme étant les ashkénazes.
Leur proche localisation avec les séfarades ont fait qu’ils se sont également mélangés les uns aux autres et une partie de ces ashkénazims se sont vu déporter en Turquie avec le reste des juifs d’Espagne, apportant au pays une nouvelle couleur dans la culture juive.
La Turquie aujourd’hui…
La Turquie aujourd’hui compte environ 70 millions d’habitants, dont seulement 35 000 juifs, ce qui ne représente même pas 0.1% de la population. Cette communauté juive habite principalement à Istanbul, l’ancienne Smyrne – aussi appelée Izmir – de Lydie.
La plus grande émigration de juifs de Turquie s’est déroulée durant notre siècle, à cause des troubles politiques et ethniques survenus au cours des années. La majorité d’entre eux sont partis s’installer en France, aux États-Unis et, oui, évidemment, en Israël après sa création.
Malgré sa faiblesse numérique, la communauté juive de Turquie est très bien structurée. En effet, elle dispose d’une autorité institutionnelle dont la vocation est à la fois de traiter des affaires religieuses comme de superviser la vie sociale de la communauté. On y trouve un grand rabbinat chargé des relations extérieures et un Bet Din, une structure juridique sur les lois juives (comme la cacherout). Il existe à ce jour près de 18 synagogues actives dans Istanbul et ses alentours, et la communauté possède deux hôpitaux et deux maisons de retraites. Du côté de l’éducation des enfants, il n’existe qu’un seul complexe juif pouvant accueillir 700 enfants, donc la plupart vont dans les écoles publiques turques ou rejoignent des établissements scolaires à l’enseignement de langues étrangères, notamment les lycées francophones. Mais, surtout, aujourd’hui seule la langue judéo-espagnole est majoritairement utilisée par cette communauté.
De par leurs implications culturelles et politiques, les juifs de Turquie jouent un rôle non négligeable dans leur pays. D’une part, ils ont adopté le poste d’intermédiaires avec Israël et le Congrès américain, avec lesquels ils acceptent volontiers d’entretenir les discussions en vue de l’adhésion du pays dans la sphère de l’Europe. D’autre part, ils restent les possesseurs de connaissances anciennes et bibliques reconnus de par le monde juif.
Malgré ce pan de l’Histoire plus que favorable des juifs en Turquie, il ne faut pas oublier les actes et attaques orales de l’actuel président turc Erdogan qui laissent à penser que la communauté juive quittera définitivement ce beau pays qui l’a accueilli pendant plus d’un millé