Son histoire « n’est pas comme n’importe quelle autre histoire ». Elle raconte « ce que d’autres yézidis et moi avons vécu le 3 août 2014 ».
Le 3 août 2014 était un jour férié pour nous. On était heureux d’être en famille. Mes deux sœurs mariées étaient là avec leurs enfants. Vers 2 h du matin, nous avons vu des flashs de loin. Nous avions très peur et nous n’avions aucune idée de ce qui allait nous arriver. On a ainsi attendu jusqu’au matin et n’avons pas fermé l’oeil. Vers 7 h, nous avons entendu des coups de feu. Daech tirait sur la ville. Nous étions terrorisés. Nos hommes ont commencé à se battre contre ISIS, mais nous n’avions pas assez d’armes. Les enfants pleuraient pour celle de leur mère, les femmes pleuraient et criaient les noms de leurs enfants, et les hommes se battaient contre Daech. Vous ne pourriez jamais imaginer ce que nous avons vécu. J’entends encore les pleurs et les cris des enfants. Le gouvernement et les policiers se sont enfuis et personne ne s’est levé pour nous protéger.
On a fuit vers la montagne Sinjar quand on est tombé nez-à-nez avec des camions, des chars. Ils nous ont dit de sortir des voitures et nous ont assuré qu’ils ne nous feraient aucun mal. Mais ils nous ont séparés. L’Etat islamique a emmené les femmes et leurs enfants dans une immense maison et les hommes à l’extérieur de la maison.
Ma famille et d’autres familles étaient dans cette maison pendant quelques heures. Nous avons regardé par la fenêtre pour voir si mon père, mes frères et les autres hommes étaient toujours dehors, mais nous n’avons vu personne. Ils ont amené un gros camion et ils nous ont tous mis à l’intérieur. Ils nous ont emmenés à Mossoul et ils nous ont mis dans un grand hôtel. Nous étions à Mossoul pendant 15 jours ; puis ils nous ont séparés. Ils ont séparé les jeunes garçons, les jeunes filles et les vieilles dames de leurs familles, et j’étais l’un d’entre eux. Ils m’ont séparé de ma mère et de mes frères et sœurs. Je pensais que je ne reverrais plus jamais ma famille. Je ne pouvais rien faire d’autre que pleurer. Ils nous ont forcés à monter dans le bus et ils ont commencé à nous battre.
ISIS nous a emmenés à Tall’afar dans une immense école. Il y avait beaucoup d’autres garçons yézidis de mon âge. Nous étions à l’école pendant 15 jours. Je pensais à ma famille tout le temps. Ce n’était pas facile pour nous. Ils nous réveillaient très tôt le matin pour nous apprendre à prier. L’un des membres de l’Etat islamique a dit à mon frère, Salam, de monter sur le toit pour le nettoyer. Il est tombé du toit et a été emmené à l’hôpital. Ils ont envoyé quelqu’un chercher notre famille. Le lendemain, ils ont emmené toute notre famille avec nous, sauf mes 2 autres sœurs que l’Etat islamique les avait séparées de nous depuis le début. Salam, Asaad et moi étions extrêmement heureux et excités parce que nous avons revu notre famille.
Ils nous ont tous emmenés dans un petit village de Tall’afar. Il y avait quelques autres familles yézidis dans ce village. Ils nous appelaient tous les matins pour aller au centre nous apprendre à tirer et à prier. Au début, tout était bizarre et effrayant. Mais ensuite, nous nous sommes habitués au village parce que nous ne voyions pas ISIS à chaque seconde. Ils venaient nous voir toutes les 2 à 3 heures. La nuit, la patrouille venait vérifier si tout allait bien, et c’était la chose la plus effrayante de toutes. La patrouille était terrifiante. Ils entraient dans la maison même si nous dormions. Pendant presque plus d’un ou deux mois, nous avons vécu tout cela tous les soirs. Un jour, nous avons décidé de nous échapper. Certains membres de la famille de la sœur de mon père ont hésité parce que nous avons vu ces familles qui ont essayé de s’échapper de l’EI et ce que l’EI leur a fait lorsqu’elles les ont attrapées. Ma mère a dit essayons de nous échapper, tentons notre chance et laissons tout à D.ieu . Ce n’était pas une décision facile car nous savions que s’ils nous attrapaient, ils nous tueraient. Quand nous avons su qu’un nouveau groupe Daech arrivait, qu’ils allaient rapter même les petites filles, notre décision de nous enfuir était scellée. Il y avait un gars nommé Khalifa qui n’avait pas d’enfants. Khalifa aimait mon frère Salam. Même à plusieurs reprises, Khalifa a essayé de nous prendre mon frère Salam. Il a dit qu’il s’occuperait de lui. Ce jour-là, alors que Salam les aidait, il cachait leurs jumelles, leurs fusils et leurs clés de voiture sous la vaisselle. Alors la nuit, quand ils se rendront compte que nous nous échappons, ils ne pourront pas retrouver leurs affaires aussi vite. Une fois de plus, nous nous préparions, cette fois nous étions déterminés à nous échapper. Mais on s’est dit d’attendre que la patrouille vienne voir que tout va bien. La nuit, ils sont venus et l’Etat islamique a vu que nous étions tous préparés. Qu’est-ce qui se passe? ISIS a demandé. Pourquoi êtes-vous tous préparés ? Ils ont demandé. Nous ne leur avons rien dit. Nous leur avons dit que nous avons juste froid. C’est pourquoi nous portons nos vêtements chauds. Ils nous ont cru parce qu’ils n’ont jamais imaginé que nous leur échapperions. Ils ont tout vérifié comme d’habitude, puis ils sont partis. Nous avons attendu qu’ils s’endorment.
Vers 18 heures, nous avons commencé à nous échapper. Il faisait très froid et sombre. Nous avons eu très peur. Il y avait près de 51 personnes. Nous avons dû couper la clôture des éléments pour nous échapper. Chaque fois que nous voyions une voiture, nous nous couchions par terre. Malheureusement, nous avons fait fausse route. En chemin, nous avons fait face à un grand lac devant nous. Il y avait tellement de petits enfants avec nous. Ma mère, mon frère et 2 autres garçons sont allés au milieu du lac et ils nous ont passé l’un à l’autre. Nous étions tous étourdis et épuisés à force de marcher. Nous avions très soif et faim, et les enfants se sont mis à pleurer. Notre situation était tragique. Nos proches et les policiers nous attendaient à la montagne Sinjar. Nous avons presque marché pendant 2 à 3 jours. Puis, nous avons vu des gens, nous avions peur qu’il s’agisse de Daech, mais nous avons réalisé qu’ils parlaient en kurde. Ils nous ont dit de ne pas nous inquiéter et que nous étions en sécurité. Nous étions soulagés.
L’Etat islamique a tué mon père et mon frère est toujours là.
Ce qui nous est arrivé, c’est un génocide. Nous ne l’oublierons pas. C’est la 74ème fois qu’on essaye de nous rayer de la surface de la terre.
Retrouvez le dossier complet sur les Yézidis dans le magazine GOLDA numéro 2 disponible en kiosque.