Pas d’oubli pour l’Arménie

Je m’appelle Yaël, Léa, Esther, Simon, David, Élie : nous sommes tous  enfants d’Israël.

Israël, êtes-vous sûrs de bien connaître ?

Un pays parfois difficile mais heureux, responsable.

Un pays où l’air qu’on respire a la douceur du lait et du miel, nonobstant les efforts ridicules et inutiles d’ennemis acharnés à vouloir voler notre terre et nos vies.

Depuis les temps immémoriaux où D’ieu nous a donné cette terre, mille fois plus étendue à l’époque, puis celui où les hommes l’ont reconnue comme appartenant aux Juifs, nous sommes témoins du pire et du meilleur, le pire venant souvent d’ennemis cruels, en manque de la plus élémentaire culture.

Chaque jour arrivent à l’aéroport Ben Gurion  d’autres Yaël, Léa, Esther, Simon, David, Élie, dont les pupilles brillent d’espérance et rayonnent de l’amour du Sionisme.

Tous savent qu’Israël leur a été donné avec pour mission de montrer l’exemple de l’humanisme, de la justice et de la fraternité.

Comment, dans ces conditions, détourner les yeux d’une ignominie non encore reconnue par la planète entière, pas plus que par notre pays, dont nous devons affronter le vide abyssal du silence de son gouvernement.

Comme chaque année le 24 avril verra la commémoration du génocide arménien, perpétré sur plusieurs années à partir d’avril 1915. Pour autant les années précédant la première guerre mondiale ne furent ni calmes ni rassurantes : la montée en puissance de forces nocives est déjà un immense malheur à elle seule.

Mais de quoi parlons-nous?

Ne perdons d’abord pas de vue que parmi les causes de cet acharnement cruel figurait une lutte féroce pour l’autonomie de l’Arménie, presqu’acquise, pour être finalement mort-née dans le sang et les tortures.

De plus l’existence en Arménie occidentale d’une région chrétienne séculaire était une écharde dans le pied du gouvernement turc.

Les Arméniens furent donc décimés dans la violence la plus infâme, sur l’ordre du CUP, Comité Union et Progrès, comité militaire turc à la tête de l’empire ottoman. L’exécution de ces massacres fut également confiée à l’armée et à la gendarmerie turques, ainsi qu’à d’autres groupes paramilitaires, sous la direction d’autorités locales turques.

Un million deux cents mille Arméniens massacrés.

Tout comme pour nous autres juifs, l’extermination fut planifiée, les responsabilités déléguées, de sorte que chaque bourreau puisse alléguer : j’ai seulement obéi aux hommes !

Tout comme nous autres juifs, les Arméniens subissent des marches de la mort épouvantables.

Tout comme sur nos enfants on lâche sur le peuple arménien des hordes de criminels recrutés dans le but de les assassiner, après les avoir spoliés, torturés.

Tout comme pour nos enfants les rafles d’intellectuels arméniens se succèdent sans la moindre pitié.

Nous, habitants de la Terre Sainte où reposent nos Pères, nous aurions voulu qu’on nous enseigne l’histoire du peuple arménien, sa place dans l’empire ottoman au début du XXè siècle, le contexte politique de l’époque, l’émancipation des autorités ottomanes et la situation politique turque, les exactions d’avant le génocide.

Nous vous exhortons, amis, voisins, famille, à connaître cette ignominie où, tout comme pour nous, chaque être assassiné est un monde qui disparaît. 

Nous le savons, le châtiment n’est pas entre nos mains.

Ni le pardon.

Mais le mutisme de certains gouvernements face à ce ravage humanitaire, comment est-ce possible ?

Leurs dirigeants veulent-ils perdre leur âme ?

Car qu’auraient-ils d’autre à perdre sinon ?

De l’argent ?

Une trentaine de pays reconnaissent aujourd’hui cette extermination programmée.

Et nous devrions nous taire ?!

Nous, humble peuple d’Israël, adjurons les gouvernements trop longtemps silencieux d’adopter la seule attitude digne et humainement loyale.

Face à ces trente pays enfin lucides, que craignons-nous ?

Que perdrons-nous ?

En tout cas ni l’honneur ni la dignité.

Nous avons souvent, à juste titre, reproché à l’UNESCO de voler notre Histoire, sans vergogne, en attribuant à d’autres que nous des sites juifs. Nous avons évoqué ce dangereux négationnisme historique, parfois irréversible : et nous nous tairions d’une étourdissante manière face à l’officialité de ces massacres ?

Sommes-nous en train d’oublier ce qui fait de nous un peuple : le sens de la justice, du respect, l’amour inaltérable de la vie ?

Avons-nous oublié que nous avons le devoir de montrer l’exemple, que nous ne devons plus craindre les conséquences de nos paroles, de nos actes ?

Nous qui sommes si fiers, encore un peu étourdis, d’avoir osé des Alya sur le fil du rasoir, d’avoir tout laissé pour rejoindre ceux qui gardaient Notre Maison, nous qui sommes si fiers de ce que nous avons fait des plaines, des déserts, des flancs caillouteux de notre patrie, nous voulons que soit mis en exergue notre statut de citoyen du monde, de peuple qui œuvre avec ardeur et sans répit pour la vérité historique qui ne doit jamais, jamais être repeinte, sous peine d’effondrement cataclysmique.

Le génocide arménien a existé, des milliers de gens en souffrent encore, nous le savons.

Nous ne pourrons guérir leurs douleurs, mais leur faire de la place à nos côtés et leur dire : Nous le savons, c’est la moindre des choses.

Et c’est aussi un acte qui nous honorera.

Propriété intellectuelle de Yaël König.

Journaliste.